CHAPITRE 11

« Vous avez dit que ze pouvais y entrer si papa et vous étiez avec moi, objecta Ramsès.

— C’est exact. Mais tu raisonnes comme un Jésuite, Ramsès. Il faudra que nous ayons une conversation à ce sujet, un de ces jours. Cependant, j’apprécie tes raisons. Et – Emerson, voulez-vous, je vous prie, poser cet enfant et cesser de bêtifier ? »

Emerson arrêta de bafouiller des propos infantiles.

« Je ne peux pas le poser, Peabody. Il aurait la tête sous l’eau.

— Vous avez raison. Apportez-le-moi. Il peut s’asseoir sur le sarcophage. »

Ramsès fut hissé sur le bord du sarcophage, à côté de la chandelle que je protégeais de la main. Couvert de boue noirâtre des pieds à la tête, il offrait un affligeant spectacle. Mais je l’avais déjà vu plus mal en point, et les yeux qui me regardaient à travers le masque crasseux étaient vifs et alertes.

« Comme je te le disais, Ramsès, j’apprécie que tu aies voulu nous sauver. Mais je dois souligner que ce n’est pas en sautant dans cette fosse que tu pouvais nous aider.

— Ze n’ai pas sauté, maman, z’ai glissé. Z’avais apporté une corde, pensant qu’il y aurait dans le couloir un point d’attache permettant de…

— Je suis ton raisonnement, Ramsès, mais si la corde est ici, en bas, avec toi, elle ne peut pas nous être d’un grand secours.

— Ze reconnais que c’est un contretemps malheureux.

— Mon fils, mon fils ! psalmodia Emerson. J’avais espéré que tu accéderais à la gloire, honorerais le nom des Emerson par tes découvertes scientifiques. Et maintenant, nous allons périr dans les bras…

— Je vous en prie, Emerson, ce sujet a déjà été abordé. Ramsès, je suppose que l’idée de demander du secours au lieu de te précipiter ici ne t’a pas effleuré ?

— Z’étais très pressé et inquiet pour vous. Cependant, z’ai laissé un message.

— À qui ? demanda Emerson, plein d’espoir.

— Eh bien, voyez-vous, la situation était confuse. Ze vous ai suivi lorsque vous avez quitté la maison, et z’ai eu un petit débat intérieur avant de passer à l’action, ne me rappelant plus, papa et maman, si vous m’aviez spécifiquement interdit de vous suivre lorsque vous…

— Bonté divine ! m’exclamai-je.

— N’interrompez pas cet enfant, je vous en supplie, Peabody. Son récit peut contenir un renseignement utile pour notre situation présente. Oublie ton débat avec ta conscience, Ramsès. Je t’assure que nous n’allons pas te gronder.

— Merci, papa. J’étais dissimulé, non loin de vous, quand les hommes vous ont frappé et ont enlevé maman. Ze ne pouvais pas aller chercher de l’aide à ce moment-là, vu qu’il était important que ze sasse où ils vous emmenaient. Pas plus que ze ne pouvais vous abandonner une fois qu’ils vous avaient descendus dans la pyramide, parce que ze craignais qu’ils ne vous éliminent pour de bon. Z’ai zuste eu le temps de m’emparer d’un bout de corde qu’ils avaient apporté, et de gribouiller un message avant de vous suivre.

— Le message, Ramsès, dis-je en serrant les dents. Où as-tu laissé le message ?

— Ze l’ai attaché au collier de Bastet.

— Au collier de…

— Elle m’avait accompagné, bien entendu. Ze pouvais difficilement laisser ce message par terre, maman. Même si les bandits ne l’avaient pas trouvé, il y avait peu de chances que quelqu’un d’autre le repère.

— Tu veux dire que tu étais à l’intérieur de la pyramide pendant tout ce temps ? Comment as-tu fait pour que les bandits ne te voient pas ? Et pourquoi as-tu mis si longtemps pour arriver jusqu’à nous ? ajoutai-je.

— Ze répondrai aux deux questions si vous me permettez de narrer les événements dans l’ordre. Z’ai entendu un choc dans l’eau et z’en ai déduit qu’ils vous avaient zetés dans la chambre funéraire. Z’ai également entendu papa crier, ce qui m’a rassuré. Il était donc en vie. Lorsque les hommes sont revenus, ze me suis caché dans un des couloirs latéraux. Ces passages ne sont pas en bon état, comme vous l’aurez remarqué. Le chemin emprunté par les malfaiteurs avait été étayé par des piliers de bois mais les passages latéraux sont beaucoup moins sûrs. Celui que z’ai sélectionné, faute de mieux dirais-je, s’est effondré. Il m’a fallu quelque temps pour me dégager.

— Juste ciel ! s’exclama Emerson. Mon pauvre enfant…

— Vous n’avez pas entendu le pire, papa. En quittant ma cachette, z’ai décidé de ressortir de la pyramide pour aller chercher du secours. Vous imazinez ma consternation en découvrant que l’issue avait été bouchée – délibérément je suppose – avec les piliers qui soutenaient les pierres du plafond. Ze n’avais plus qu’à revenir vers vous, mais ça m’a pris un certain temps vu que z’étais passablement perturbé et que, en raison de mon émotion, z’avais oublié que ze portais, suivant l’admirable exemple de maman, une boîte d’allumettes et une chandelle parmi d’autres obzets utiles. Mais ze crains fort de les avoir perdus en tombant dans l’eau. »

Pour une fois, Ramsès avait réussi à conclure une déclaration sans être interrompu. Profondément émue, je ne fis aucun commentaire. À première vue, notre sort était scellé, sauf si quelqu’un trouvait le message attaché au collier de la chatte avant quelle ne le perde ou le grignote. Mais au premier rang de mes émotions venait, je le confesse sans honte, la fierté maternelle. Ramsès avait manifesté des qualités dignes d’un héritier des Emerson et des Peabody. Je l’aurais dit volontiers si Emerson n’avait déjà été en train de l’inonder de compliments.

« Tu as très bien agi, Ramsès, dis-je, mais il va falloir faire encore mieux. Nous devons sortir de cette salle.

— Pourquoi ? s’étonna Emerson. Si le passage est bloqué, nous ne pouvons même pas sortir de la pyramide.

— D’abord, ici, l’humidité est intenable. Sans la ceinture de flanelle, que vous refusez d’ailleurs de porter, on risque de prendre froid.

— Le risque de voir un des passages s’effondrer sur notre tête me semble autrement dangereux, Peabody. Nous serions plus en sécurité si nous attendions les secours ici.

— Cela pourrait demander un très long temps, Emerson. Bastet finira sûrement par rentrer à la maison, mais elle aura peut-être perdu le message de Ramsès en chemin.

— Et surtout, ajouta Ramsès, nous ne pouvons attendre si nous voulons appréhender les bandits. Ils prévoient de partir à l’aube. Ze les ai entendus.

— Mais si le passage est obstrué…

— Il y a une autre sortie, papa.

— Pardon, Ramsès ?

— Elle mène à un vestibule, près de la pyramide, qui abrite plusieurs tombes de membres de la famille royale. C’est par là que ze suis entré la première fois. Et, si maman m’autorise à remettre à plus tard mes explications concernant cette circonstance précise, ze pense zudicieux d’aller rapidement vérifier si cette ouverture est touzours utilisable.

— Très juste, mon garçon, dit Emerson en redressant les épaules et faisant jouer ses biceps, mais avant tout, il nous faut trouver quelque chose sur quoi monter. Ta maman et moi nous apprêtions à chercher lorsque tu es… arrivé.

— Non, Emerson, intervins-je. La priorité est de retrouver la corde que Ramsès a malencontreusement laissé tomber.

— Mais, Peabody…

— Réfléchissez, Emerson. Il ne nous manquait que quatre-vingt-dix centimètres. Voici, dis-je en désignant Ramsès, qui fait plus que cela.

— Ah ! s’exclama Emerson. Vous avez raison, comme toujours, ma chère. »

Ramsès proposa de plonger, ce que nous refusâmes en chœur. Il ne fallut que quelques minutes à Emerson pour retrouver la corde, dans la boue, juste en dessous de l’ouverture. Nous éliminâmes de notre mieux la vase qui la rendait dangereusement glissante, puis nous reconstituâmes notre échelle humaine en plaçant Ramsès au sommet. Il grimpa comme un singe. Quand ses doigts eurent solidement saisi le rebord du trou, je lui donnai une poussée sur la partie la mieux placée de son anatomie, et il se retrouva dans le passage.

Nous attendîmes qu’il allume la chandelle et trouve une protubérance rocheuse permettant d’arrimer solidement la corde. C’était la partie de l’opération qui m’inquiétait le plus. Vu la détérioration de l’ensemble de la construction, on pouvait craindre que le mur s’effondre si l’on sollicitait trop fortement une des pierres de surface. À la différence de la grande pyramide de Dachour, celle-ci était faite de briques crues recouvertes de pierres. Les pentes détériorées de l’extérieur témoignaient de ce qui risquait d’arriver si l’on ôtait les pierres de couverture.

J’entendis mon fils avancer avec précaution le long du passage et notai avec soulagement qu’il prenait son temps pour sélectionner un support adéquat. Je regrettais seulement que nous n’ayons pas eu le loisir d’explorer la chambre funéraire. Cette occasion ne nous serait pas donnée deux fois.

Enfin, Ramsès annonça avoir découvert une pierre en saillie qui lui paraissait convenir. « Elle ne tiendra pas longtemps, maman. Il va falloir faire vite. »

Le morceau de corde qui pendait à côté de moi se tortillait comme un serpent. Marmottant une prière silencieuse à la Divinité qui régit notre destin, je m’en emparai et Emerson me hissa aussi haut qu’il put. Je restai périlleusement suspendue un très long moment, puis mon pied rencontra une anfractuosité suffisante pour y prendre appui. Ma main gauche se referma sur le bord de l’ouverture et à l’issue d’un effort bref mais palpitant, je me retrouvai en (relative) sécurité.

« Ramsès, tu peux maintenant me passer la chandelle. »

Bien entendu, il la laissa tomber. L’ayant récupérée, ainsi que les allumettes, je refis de la lumière et examinai notre niche. Le spectacle n’était pas encourageant. Sous la pression des briques, plusieurs pierres s’étaient effondrées au bas du mur. Ramsès avait attaché la corde comme il avait pu à une saillie peu rassurante. J’avais très peu sollicité la corde dans mon ascension, mais Emerson allait devoir hisser son propre poids, très supérieur au mien. On pouvait envisager que le bloc de pierre lâche sous la traction, précipitant de nouveau Emerson dans l’eau et pire encore, entraînant l’effondrement complet du mur. Je fus sur le point de lui demander de rester en bas pendant que nous allions quérir du renfort. Si je ne le fis pas, c’est que je craignais qu’il se lasse et essaie malgré tout de remonter à l’aide de la corde. La patience n’a jamais été son fort.

« Je monte, Peabody ! cria-t-il.

— Attendez un instant ! »

Je m’assis par terre, m’adossai au bloc de pierre saillant en m’arcboutant des pieds contre le mur d’en face. « Ramsès, appelai-je. Avance dans le passage, jusqu’au coude suivant. » Contrairement à mon attente, Ramsès obtempéra en disant juste « Oui, maman. » J’attendis qu’il ait disparu pour dire à Emerson de monter.

Les instants suivants ne sont point à compter parmi les plus agréables de ma vie. Comme je l’avais prévu, les gesticulations d’Emerson mirent à mal la pierre à laquelle la corde était arrimée. La maudite roche cédait d’un ou deux centimètres à chaque traction, et mes efforts pour la bloquer étaient comme une goutte d’eau dans la mer. Quelque chose de doux entra en contact avec ma main, et je réprimai de justesse un cri en sentant une matière semblable à du sable – en réalité, de la brique tombant en poussière –, qui s’infiltrait par la crevasse béante.

J’eus l’impression d’avoir attendu des heures avant de voir son visage barbouillé de vase surgir dans l’ouverture. La pression de la roche contre mon dos était maintenant telle que j’avais quasiment les genoux sous le menton. Je craignais, si j’élevais la voix, de provoquer des vibrations qui rompraient l’équilibre précaire de la roche.

« Emerson, chuchotai-je, ne perdez pas une seconde. Rejoignez-moi à quatre pattes, je vous en prie, et avec le plus de délicatesse possible. »

Il m’obéit sans discuter, ce dont je remerciai silencieusement le ciel. Abandonnant mon inconfortable posture, je le précédai en rampant dans le passage. Quand nous atteignîmes l’endroit où Ramsès nous attendait, je jugeai raisonnable de marquer une pause.

Comme la précédente section de couloir, le segment où nous nous trouvions était bordé de blocs de calcaire et la hauteur de plafond, d’à peu près un mètre vingt. Même Ramsès devait baisser la tête. J’essuyai sur mon pantalon mes mains couvertes d’écorchures, rentrai les pans de ma chemise et remis de l’ordre dans ma coiffure.

« Passe devant, Ramsès, on y va. Sauf si… vous êtes complètement rétabli, Emerson ?

— Je ne le serai peut-être jamais, mais je suis prêt à avancer. Toutefois, laissez-moi d’abord récupérer la corde, elle peut nous être utile.

— Non, Emerson ! Il faudra s’en passer. Le mur peut s’effondrer d’un instant à l’autre. Je ne vous laisserai pas retourner là-bas.

— Nous n’aurons pas besoin de corde, affirma Ramsès. Enfin, je l’espère. »

Nous dûmes nous contenter de cette demi-certitude. En fait, nous rencontrâmes plusieurs endroits où une corde aurait été utile, car les bâtisseurs de la pyramide avaient conçu toutes les chausse-trapes imaginables pour déjouer les vils desseins des pilleurs de tombes, puits s’ouvrant subitement sous vos pieds et ouvertures dissimulées en hauteur dans les murs. Heureusement, ces bandits disparus depuis longtemps s’étaient montrés encore plus rusés que les bâtisseurs, et je dus, malgré mes réticences morales, les bénir pour avoir creusé le tunnel que nous empruntions maintenant.

Je bénis également le sens surnaturel de l’orientation dont Ramsès était doté. Les couloirs tournaient dans tous les sens d’une chambre à l’autre, certains aboutissant à des impasses comme si nous étions dans un labyrinthe, et pourtant il nous conduisit sans hésiter vers son objectif.

« Je suppose que la complexité particulière de ces structures inférieures est typique des pyramides de la XIIe dynastie, fis-je remarquer à Emerson tandis que nous rampions en file indienne. Ce modèle-ci ressemble à celle que Petrie a explorée à Haouara en 87.

— Hypothèse acceptable. Cette pyramide est probablement de la même période, elle doit donc avoir une structure similaire. Dommage que nous n’ayons pas trouvé d’inscription indiquant pour quel pharaon elle a été construite.

— C’est encore possible, Emerson. Celle-ci me semble antérieure à la nôtre. Elle est plus solidement bâtie… »

Au même instant, je reçus sur la tête un mélange de sable et de brique, ce qui m’imposa momentanément le silence. Nous accélérâmes. On pourra s’étonner que nous ayons poursuivi une conversation d’érudits alors, que nos vies étaient en danger. Mais ramper n’entame en rien l’esprit critique, et je ne connais pas de meilleur passetemps que la conversation.

La deuxième pluie de sable dont je fus victime n’était pas le seul péril qui nous menaçait : les pierres qui doublaient la paroi du passage commençaient à s’effondrer et nous faillîmes rester bloqués. Ramsès, qui était en train de nous faire un cours sur la construction des pyramides du Moyen Empire, se tut brusquement et arbora un air énigmatique quand nous élargîmes le passage de nos mains avec d’infinies précautions.

En dehors de ces incidents et de la chute de Ramsès au fond d’une fosse (dont nous le sortîmes grâce à ma ceinture de flanelle), nous ne rencontrâmes pas de véritable difficulté pendant notre traversée souterraine. À la fin, un long couloir rectiligne débouchait sur une vaste salle creusée dans la roche.

Celle-là avait également été dépouillée de ses antiquités, ou du moins le crus-je sur le moment, car elle n’abritait qu’un sarcophage de pierre vide. Là, du moins, pouvions-nous tenir debout. Ramsès demanda à son père de lever la chandelle pour éclairer le plafond.

L’une des pierres manquait.

« C’est l’ouverture du puits qui communique avec la surface. Il n’est pas très profond, trois mètres quatre-vingts pour être exact. Je crains juste que le rocher que j’ai placé au-dessus de la bouche du puits soit trop lourd et que papa ne parvienne pas à le soulever. Hassan et Selim ont dû s’y mettre à deux pour le placer là. »

Je me promis de leur parler ultérieurement à ce sujet.

« Emerson, qu’en pensez-vous ?

— Je dois essayer, Peabody. Après toutes ces épreuves, je ne vais pas me laisser arrêter par un vulgaire caillou. »

Le puits était tellement étroit qu’Emerson put se hisser jusqu’en haut en s’aidant des pieds, arc-bouté contre la paroi. Ce n’était pas une position confortable pour soulever un poids important, et ses grognements l’attestaient.

« Essayez de le faire glisser plutôt que de le soulever, Emerson.

— Que diable croyez-vous que je suis en train de faire ? C’est très difficile de trouver une prise… Ah, je crois que ça y est. »

Il fut interrompu par une douche de sable, dont une partie m’aspergea le visage. C’est lui, malheureusement, qui reçut le plus gros. Je l’ai rarement entendu jurer de la sorte.

« Z’ai été oblizé d’étaler du sable sur l’ouverture, expliqua Ramsès, afin de dissimuler l’endroit où… »

Une véritable avalanche de sable et de petits cailloux mit fin à cette déclaration inopportune. Emerson continua de proférer toute une variété de jurons en poursuivant son effort et bientôt, la douche ne fut plus qu’un filet.

« Attention, en dessous ! cria-t-il. Je redescends. »

Ce qu’il fit brusquement. La flamme de la chandelle me révéla son visage : le sable avait adhéré à la vase et la transpiration qui le couvraient déjà ; deux yeux bordés de rouge lançaient des éclairs au milieu de ce masque.

« Oh, mon Dieu ! m’exclamai-je, pleine de compassion. Laissez-moi baigner vos pauvres yeux. Cette petite flasque d’eau, que j’emporte toujours avec moi… »

Il cracha un jet de boue et aboya :

« Pas maintenant, Peabody. Je sens mes nerfs, d’ordinaire solides, sur le point de craquer. Montez d’abord. Donnez-moi la main. »

Ce n’était pas la première fois, dans le cadre de nos aventures, que je remontais une crevasse de cette façon, mais pendant quelques secondes, je fus incapable de bouger. À quelques pieds au-dessus de ma tête se détachait un carré de velours bleu nuit constellé de pierres précieuses. J’avais l’impression qu’il aurait suffi de tendre la main pour le toucher. Mon esprit ébranlé refusait d’admettre que c’était réellement le ciel nocturne, que j’avais désespéré de revoir jamais.

Emerson m’appela d’un ton énervé, et je fournis mon ultime effort. C’est seulement quand je me retrouvai allongée sur le sol rugueux du désert, sentant une brise légère rafraîchir mon visage, que j’en pris pleinement conscience : notre horrible épreuve était terminée.

Je levai la tête. À trois pas de moi, silencieuse sous le clair de lune, une statue d’ambre me dévisageait de ses yeux fendus. Ainsi l’antique déesse de l’amour et de la beauté devait-elle accueillir ses adorateurs lorsqu’ils revenaient d’un périlleux voyage dans le monde souterrain.

La chatte Bastet et moi communiâmes en silence. Comme elle inclinait la tête d’un air interrogateur, je lui dis sèchement :

« Il sera là dans une minute. »

Ramsès émergea peu après. Il avait trouvé sur les parois du puits des prises qui m’avaient complètement échappé. Lorsque je le hissai dehors, Bastet miaula et courut jusqu’à lui. Elle entreprit de lui lécher le visage, en recrachant de temps à autre avec irritation. Quand Emerson sortit à son tour, il s’ébroua comme un gros chien. Le sable vola dans toutes les directions.

La silhouette tronquée de la Pyramide noire se dressait à côté de nous. Nous étions près de la façade nord. À l’ouest, jaillissaient les pentes argentées de la pyramide rhomboïdale, impassible sous les étoiles et un peu plus au nord, on apercevait sa voisine plus traditionnelle. Le silence et la paix régnaient sur ce décor. À l’est, où le village de Menyat Dachour nichait parmi les palmiers et les champs irrigués, on ne voyait aucune lumière. Il devait être très tard. Mais moins que je ne le craignais, car à l’est, le ciel attendait encore dans l’obscurité la promesse de l’aube.

Bastet avait renoncé à nettoyer Ramsès. C’était une bête intelligente. Sans nul doute avait-elle compris que seule une immersion totale produirait le résultat souhaité. Il en allait de même pour les parents de Ramsès. Je préférai ne pas y penser…

Je pris la chatte dans mes bras. Un lambeau de papier était attaché à son collier.

« La moitié du message est encore là, dis-je. Heureusement que nous n’avons pas attendu qu’on vienne à notre secours.

— Z’envisage un dressage plus poussé. Ze n’avais qu’entamé cette partie du programme, ne pouvant deviner qu’une procédure d’urgence allait…

— Nous avons encore quatre kilomètres de marche devant nous, dit alors Emerson. Inutile de s’attarder.

— Vous vous sentez de force, Emerson ? Nous sommes assez près de Menyat Dachour. Nous devrions peut-être réveiller Morgan et lui demander de l’aide. Il pourrait nous prêter des ânes et des hommes.

— Soyez franche, Peabody. Vous n’avez pas plus envie que moi de quémander de l’aide à Morgan.

— Sans doute, mais vous devez être épuisé.

— Je ne me suis jamais senti aussi bien, affirma-t-il en se frappant le torse. L’air est comme du vin, surtout après ce que nous avons dû respirer là-dessous. Mais vous, ma chère, vous devriez peut-être aller à Dachour. Vous frissonnez.

— Je ne vous quitterai pas, Emerson. Où que vous alliez, j’irai.

— Je n’en attendais pas moins de vous, dit-il en souriant affectueusement. Allez, Ramsès, pose cette chatte, je vais te porter. »

La marche nous réchauffa et les joies de l’intimité familiale nous semblèrent plus précieuses que jamais. N’aurais-je eu tellement hâte d’en finir avec nos ennemis, j’eusse souhaité que cette promenade dure beaucoup plus longtemps.

Nous établîmes un plan simple : réunir nos hommes dignes de confiance et nous munir d’armes en quantité suffisante avant d’aller au village arrêter le Maître criminel.

« Nous devons les surprendre. Il est aux abois et risque d’être armé.

— Vous avez dit « il » ? Je croyais que Miss Charity était votre candidate. »

Ayant eu le loisir de réviser mon premier et hâtif jugement, je répliquai :

« Nous n’avons jamais vu le visage de la créature qui marchait devant nous, Emerson. N’importe quel jeune homme ou femme pouvait porter la robe de Charity et le vilain chapeau cachait ses traits aussi efficacement qu’un masque. Le message que j’ai reçu ne peut davantage l’incriminer, puisque je n’ai jamais vu son écriture. N’importe qui peut avoir écrit ce billet.

— Pas n’importe qui, Peabody.

— Exact, mon cher. Si c’était, comme je le crois, un faux, seuls Frère Ezéchiel ou Frère David pouvait en être l’auteur.

— Et lequel des deux, à votre avis ?

— Frère Ezéchiel, évidemment.

— Je ne suis pas d’accord. C’est sûrement Frère David.

— Vous l’avez choisi parce que vous n’aimez pas ses façons.

— Vous avez une prédilection pour les jolis jeunes gens au discours enjôleur, Peabody. Tandis que Frère Ezéchiel…

— Tous les indices convergent vers lui, Emerson.

— Absolument pas, ils convergent vers Frère David.

— Pourriez-vous m’expliquer en quoi ?

— Pas tout de suite. Il y a encore un ou deux points mineurs qui restent à éclaircir. Et vous ?

— J’ai également quelques détails sans importance dont je voudrais être absolument sûre. »

La discussion s’arrêta là. Ramsès voulut nous exposer son point de vue, mais nous nous y opposâmes d’un commun accord et le silence s’installa. Fort heureusement, car les bruits portent loin dans le désert ; à l’approche de la maison, Emerson s’arrêta brusquement.

« Ramsès, tu avais laissé la lumière allumée dans ta chambre ?

— Non, papa.

— Nous non plus. Regardez. »

Deux rectangles jaunes se détachaient sur le fond noir de la maison. Emerson me prit le bras et me fit coucher par terre. Ramsès glissa de ses épaules et s’accroupit à côté de nous.

« C’est peut-être John qui, ayant constaté l’absence de Ramsès, le cherche partout, avançai-je.

— Sans faire aucun bruit ? Et où se trouve Abdullah ? Non, j’ai le sentiment que quelque chose ne tourne pas rond, Peabody.

— Je crois voir Abdullah, là, à gauche de la porte. Il a l’air de dormir. »

Au même moment, apparut au coin de la maison, une silhouette fantomatique qui venait apparemment de l’église en ruines. Se fondant dans les recoins sombres, elle enjamba Abdullah et s’introduisit chez nous.

Il me revint à l’esprit que les pieds nus ne font aucun bruit sur le sable et que la plupart des villageois portaient des robes de couleur foncée. Si Abdullah avait vu cette silhouette, il aurait clamé que c’était l’esprit d’un des moines assassinés.

Nous avançâmes en rampant. La forme au sol était bien celle de notre loyal reis. Il ne bougea pas d’un centimètre quand Emerson le secoua doucement.

« Il a été drogué, expliqua-t-il. Au haschich, à en juger par l’odeur. Il ne sentira plus rien à son réveil.

— En déduisez-vous que tous nos hommes sont dans le même état ?

— Voire pire, dit Emerson avec un sourire carnassier. Passez-moi votre arme, Peabody.

— Ne l’utilisez pas. La boue…

— Je sais. C’est juste pour bluffer. Vous restez ici ?

— Non, Emerson, certainement pas.

— Dans ce cas, Ramsès doit monter la garde. Tu as compris, Ramsès ? Si ta maman et moi ne réussissons pas à maîtriser les intrus, il faudra aller chercher du secours.

— Mais, papa… »

Ma patience était à bout. J’attrapai mon fils par ses frêles épaules et le secouai tant qu’il claqua des dents.

« Tu as entendu papa, Ramsès. Attends ici une quinzaine de minutes. Si nous ne t’avons pas appelé d’ici là, file à Dachour le plus vite possible. Et si tu dis un seul mot, maman te donnera une gifle. »

Ramsès trotta sans piper vers son poste d’observation.

« Voyons, Peabody, s’indigna Emerson, pourquoi faut-il que vous soyez si brusque ? Cet enfant s’est montré ce soir d’un dévouement et d’une habileté prodigieux, une petite marque d’appréciation…

— Lui sera donnée en temps voulu. Ramsès sait que je ne suis pas encline aux manifestations de tendresse. Il n’en attend donc pas de moi. Maintenant, Emerson, ne perdons plus de temps. Que diable font-ils dans la chambre de Ramsès ? »

La porte était ouverte et des voix nous parvinrent quand nous approchâmes de la cour. Visiblement, ils ne craignaient pas d’être dérangés. Nos hommes devaient être prisonniers. Mais John ? Qu’avaient-ils fait du pauvre John ?

Nous longeâmes le mur sans faire de bruit et, dissimulés derrière le battant ouvert de la porte, regardâmes par l’interstice ce qui se passait à l’intérieur.

Nous avions vue sur la table de travail de Ramsès, la fenêtre grillagée, la cage du lionceau et la partie inférieure du lit qui avait été retourné. Draps et couvertures formaient un tas désordonné. Deux hommes étaient là, coiffés du turban bleu foncé traditionnel du village. Non seulement ils avaient laissé la porte ouverte mais ils faisaient beaucoup de bruit. Leurs cris de rage et de dépit se mêlaient au fracas des objets qu’ils laissaient tomber en fouillant partout, et aux grognements frénétiques du lion. L’un d’eux donna un coup de pied dans la cage en passant. Je serrai les dents. Rien ne m’irrite plus que la cruauté envers les animaux. Ma main se crispa sur la poignée de mon ombrelle que je venais de récupérer dans le salon. C’était notre seule arme : nos pistolets étaient restés dans notre chambre, que nos visiteurs avaient également envahie. Je chuchotai à l’oreille d’Emerson.

« Ils ne sont que deux. On y va ?

— On y va. »

Je suis sûre que notre assaut eût été un total succès si Emerson n’avait voulu passer devant moi. Une petite collision s’ensuivit. Le temps que je récupère mon ombrelle, un des hommes pointait déjà son arme sur nous.

Ses traits me rappelaient vaguement quelque chose. Il devait faire partie des « diacres » du prêtre. L’autre m’était totalement inconnu, et à son accent, je le devinai cairote.

« Vous êtes difficile à tuer, Maître des imprécations. Nous allons voir si une balle peut réussir là où l’ensevelissement a échoué. »

Comme en réponse, le lion poussa un rugissement. Son compère donna un violent coup de pied dans la cage.

Puis une voix répondit à ce que j’avais pris pour une question de pure forme. Elle venait du bout de la pièce que nous n’avions pu voir et s’exprimait dans un arabe-égyptien d’excellente tenue.

« Nous ne tuerons le professeur Emerson que s’il ne nous laisse pas d’autre choix. Et ne tapez pas dans cette cage. Le Prophète n’a-t-il pas découpé sa manche pour éviter de déranger son chat endormi ? »

L’homme qui venait de parler s’avança dans le halo de lumière projeté par la lampe. Il avait un turban foncé, une robe noire, une barbe noire et les traits du père Girgis, de l’église Sitt Miriam. De stupeur je faillis en lâcher mon ombrelle.

« Vous ? C’est vous le Maître criminel ? »

Il éclata de rire et répondit, dans un anglais également irréprochable : « Quelle expression mélodramatique, madame ! Je ne suis que le président d’une organisation dans les affaires de laquelle votre famille et vous-même se sont immiscées. »

Les mains levées, le regard attentif, Emerson dit calmement : « Vous parlez un excellent anglais. Seriez-vous de nationalité britannique ? »

Le prêtre sourit.

« Je parle la plupart des langues européennes avec la même facilité. Cherchez, professeur, cherchez ! Vous formez un couple de gêneurs acharnés. Si vous étiez restés hors de mon chemin, vous ne seriez pas en danger.

— Je suppose que nous jeter au fond d’une pyramide en bouchant la sortie ne nous mettait pas en danger, dis-je.

— J’aurais pris les mesures nécessaires pour vous faire libérer une fois que nous aurions eu quitté la région, madame Emerson. Tuer ne m’intéresse pas.

— Qu’est-il advenu du prêtre de Dronkeh ? Je suis sûre que le patriarche du Caire ignore que son représentant local a été remplacé. Qu’avez-vous fait du pauvre homme ? »

Un éclair de dents blanches déchira l’extraordinaire barbe noire.

« Le cher vieillard est un prisonnier bien traité. Il s’initie aux plaisirs de cette terre qu’il avait abjurés. Croyez-moi, les seuls dangers qu’il ait à affronter sont d’ordre spirituel.

— Et Hamid ? »

Ses yeux s’illuminèrent d’une lueur satanique.

« J’aurais volontiers exécuté ce traître, oui. Mais je ne l’ai pas fait : la vengeance d’un autre m’a précédé.

— Vous n’imaginez tout de même pas que je vais vous croire ?

— Amelia, intervint mon époux. Il est inutile d’agacer ce… euh, monsieur.

— C’est sans gravité, professeur. Il m’importe peu de savoir si Madame Emerson me croit ou non. Je suis ici pour affaires. J’étais venu chercher un article bien précis… »

Du haut de sa robe, il sortit une boîte dont il souleva le couvercle. La lumière douce de la lampe baigna l’or étincelant, la matité de la turquoise, le bleu royal du lapis-lazuli et le rouge-orangé de la cornaline.

« Le pectoral de la XIIe dynastie ! m’écriai-je, stupéfaite.

— Un autre pectoral de la XIIe dynastie, corrigea le prêtre. Avec son collier de perles d’or et de cornaline, et les bracelets assortis. La parure d’une princesse du Moyen Empire, si bien dissimulée dans le sol de la tombe qu’elle a échappé à la vigilance de ceux qui ont volé sa momie. C’est la deuxième cachette de ce type que nous trouvons à Dachour, madame Emerson, et sans l’intervention de votre sacripant de fils, nous en aurions sans doute découvert d’autres. Cela fait plusieurs semaines qu’il creuse partout autour des pyramides de Dachour. L’un de mes hommes l’observait lorsqu’il a trouvé la tombe de la princesse et emporté cette parure, mais nous avons préféré le laisser faire, espérant qu’il s’en tiendrait là, nous permettant ainsi de poursuivre nos recherches en paix. Cet espoir a été déçu. Vous gâtez cet enfant, madame Emerson. Combien de garçons de son âge sont autorisés à creuser sans surveillance ? »

J’allais répondre lorsque je vis quelque chose qui me glaça le sang. C’était un visage grimaçant, pressé contre le treillis de la fenêtre. Seul le nez, qui dépassait entre deux barreaux, me permit de le reconnaître. Ramsès !

Ne s’étant aperçu de rien, le prêtre poursuivit :

« Telles sont les vicissitudes inévitables de ma profession. Maintenant, veuillez m’excuser, je dois prévenir les hommes qui fouillent votre chambre que j’ai trouvé ce que je cherchais. Et je vous fais mes adieux. J’ose croire que nos chemins ne se croiseront plus. »

Il se dirigea vers la porte.

Ses hommes le regardèrent partir. Emerson tournait le dos à la fenêtre. J’étais la seule à voir le cadre en bois qui protégeait celle-ci trembler et céder peu à peu. Quand il lâcha, je sus comment Ramsès avait pu s’éclipser chaque nuit sans qu’on le voie. Je détournai le regard, pour n’alerter personne, et envisageai pour lui un certain nombre de châtiments ultérieurs.

Ni Emerson ni moi n’avions répondu à la dernière flèche du prêtre, mais nous pensions, la même chose, j’en suis certaine : « Oh, si, nous nous reverrons, soyez-en sûrs, car je ne serai tranquille que lorsque j’aurai mis fin à vos coupables activités. » Le prêtre était à la porte quand mon mari cria :

« Partez-vous pour laisser à vos hommes le soin de nous massacrer ? J’aurais dû me douter que vous abandonniez aux autres la sale besogne. Mais vous aurez notre sang sur les mains, misérable !

— Cher professeur, pas une goutte de votre sang ne sera versée si vous acceptez l’inévitable. Mes hommes ont des ordres à… »

Le prêtre poussa un cri en se retournant. Ramsès sauta dans la pièce, se reçut gracieusement et fonça vers lui.

« Rendez le moi tout de suite ! » gronda-t-il d’un ton qui évoquait furieusement celui de son père.

Le prêtre ricana avec mépris.

« Fils de Satan ! Mustafa, attrape-le. »

L’homme en question projeta son bras avec un sourire méchant. Le coup toucha Ramsès en pleine poitrine et l’envoya voler contre le mur. Cela fit un bruit épouvantable et il retomba inerte.

J’entendis le rugissement d’Emerson et une détonation. Et je me retrouvai dans le noir. Plongée dans les ténèbres, je perçus un fracas, comme si une avalanche déferlait dans mes oreilles.

Au bout d’un temps indéterminé, je sentis des mains m’étreindre et une voix m’appeler :

« Peabody ! Peabody ! Pour l’amour du ciel… »

Le brouillard s’éclaircit devant mes yeux. J’étais toujours debout, ombrelle en main, et Emerson me secouait.

Ramsès était assis par terre, dos au mur, jambes étendues devant lui, bouche bée, les yeux écarquillés.

« Tu es vivant ! »

Il hocha la tête, incapable, pour la première fois de sa vie, de proférer un mot.

La même expression d’horreur stupéfaite se lisait sur le visage d’Emerson. Il n’y avait pourtant pas lieu de s’alarmer. L’un des bandits gisait par terre, les mains sur la tête. Le deuxième, recroquevillé dans un coin, balbutiait des propos incohérents. Le prêtre n’était plus là.

« Vous semblez avoir la situation bien en main, dis-je d’une voix qui me parut curieusement rauque. Je vous félicite, Emerson.

— Ce n’est pas moi, c’est vous.

— De quoi parlez-vous ? »

Il me lâcha et tituba jusqu’au tas de couvertures sur lequel il se laissa tomber.

« Il y a du sang sur votre ombrelle, Peabody. »

Je remarquai alors que je la tenais toujours à la main, mais en la brandissant comme si je m’apprêtais à frapper. Il y avait effectivement une substance visqueuse sur la pointe d’acier. Une goutte se forma et tomba.

« Folle furieuse, poursuivit Emerson en secouant la tête d’un air hagard. Voilà le terme exact. Une rage démente. On m’avait décrit le phénomène. À croire les vieilles légendes, où le possédé échappe aux coups, aux balles, aux épées… l’instinct maternel transformé en furie, la lionne défendant son petit…

— Emerson, je ne sais pas du tout de quoi vous parlez. Déchirez ce drap en bandes, que nous puissions attacher ces bandits avant d’aller délivrer nos hommes. »

 

La délivrance s’avéra superflue. Tandis que nous ligotions les deux malfaiteurs, qui étaient littéralement paralysés et ne se débattirent pas, nos hommes d’Aziyeh pénétrèrent dans la maison en vociférant. Ils n’avaient eu aucune conscience du danger jusqu’au moment où l’un d’eux, s’éveillant, avait vu le canon d’une arme braqué sur lui par un « maudit chrétien ». Emerson se hâta d’expliquer que les Coptes n’y étaient pour rien.

« En voyant l’arme, j’ai crié et ça a réveillé les autres. Les hommes nous ont dit de ne pas bouger, Sitt Hakim, alors on a obéi. C’était un fusil Mauser à plusieurs coups, vous comprenez. Pourtant, si on vous avait su en danger, on serait venus ; d’ailleurs, on s’apprêtait à bousculer le bandit, à risquer notre vie pour vous, quand un homme a surgi dans la nuit en agitant les bras et hurlant à tue-tête… »

Ce devait être le prêtre.

« Il avait une longue barbe, Sitt, et une croix attachée à la ceinture. Il avait du sang sur le visage et il criait d’une voix pointue, comme une femme effrayée. Ils se sont enfuis, Sitt, tous les deux. Ça nous a tellement étonnés que nous ne savions quoi faire. On en a parlé, et Daoud a dit qu’il valait mieux rester là, des fois que l’homme au fusil nous guetterait… »

Daoud commença à protester. Je le rassurai et Ali termina son récit.

« Mohammed et moi, on a dit que non, il fallait vous retrouver et s’assurer que vous alliez bien. Alors, on est venus. Notre honoré père est ivre de haschich, Sitt. »

Abdullah semblait si heureux que ç’aurait été une honte de le réveiller. Nous le portâmes dans son lit, et Ali resta veiller sur lui. Je demandai à un autre homme d’accompagner Ramsès pour remettre sa chambre en ordre.

Notre fils s’attardait. Il serrait contre sa frêle poitrine la boîte contenant le pectoral.

« Vous voulez me parler, maman ?

— J’aurai beaucoup de choses à te dire plus tard. Pour l’instant, fais ce que je t’ai dit.

— Juste une question, intervint Emerson en grattant son menton gagné par une barbe naissante. Qu’est-ce qui t’a pris de grimper ainsi à la fenêtre, Ramsès ? Je croyais t’avoir dit d’aller chercher du secours.

— Le criminel allait voler mon pectoral. Il m’appartient, c’est MOI qui l’ai trouvé.

— Mais, mon garçon, c’était affreusement dangereux ! Tu ne peux exiger d’un voleur qu’il te rende ton bien. Ils ne sont pas sensibles à ce genre d’arguments.

— Ce n’était pas dangereux. Je savais que maman et vous ne les laisseriez pas me faire de mal. »

Emerson toussa bruyamment et s’essuya les yeux avec sa manche. Ramsès et moi échangeâmes un long regard.

« Va te coucher, Ramsès, dis-je.

— Oui, maman. Bonsoir, maman, bonsoir, papa.

— Bonsoir, mon cher fils. »

Sous ses allures de colosse, Emerson est un homme très sensible. Je regardai discrètement ailleurs pendant qu’il essuyait ses larmes et se recomposait un visage impassible.

« Peabody, dit-il ensuite, c’était la déclaration la plus magnifique qu’un enfant ait jamais faite à ses parents. Ne pouviez-vous répondre plus chaleureusement ?

— Ne vous inquiétez pas, Emerson. Ramsès et moi nous comprenons parfaitement.

— Ah, bon. Eh maintenant, ma chère, que faisons-nous ?

— John. C’est de lui qu’il faut se préoccuper.

— John ? John ! Oh, nom d’une pipe, vous avez raison ! Où le pauvre garçon est-il donc passé ?

— Un seul endroit me paraît plausible, Emerson. Mais avant d’aller le chercher, j’insiste pour que vous preniez un bain et changiez de vêtements. Attendre un peu ne présente aucun danger. Si on lui voulait du mal, ce serait déjà fait. Prions le ciel que l’assassin de Hamid et Abd el-Atti l’ait épargné.

— Ah, ah ! Ainsi, vous avez cru ce gredin lorsqu’il a décliné toute responsabilité dans les meurtres.

— Pourquoi irait-il mentir ? Nous l’avons pris la main dans le sac. Non, Emerson, le prêtre – ou Maître criminel si vous préférez – est sans conteste un bandit de la pire espèce et je suis sûre qu’il a plusieurs meurtres sur la conscience, à supposer qu’il en ait une. Mais il n’a pas tué Hamid et Abd el-Atti.

— Amelia.

— Oui, Emerson ?

— Soupçonniez-vous le prêtre ? Répondez franchement.

— Non, Emerson, je ne le soupçonnais pas.

— Moi non plus, Amelia.

— Mais je ne me suis pas trompée sur toute la ligne. La personne que je pensais être le Maître criminel est en fait le meurtrier. La distinction n’a pas grand intérêt, remarquez.

— Diantre, Amelia, vous ne renoncez jamais, n’est-ce pas ? Dépêchez-vous de prendre votre bain, et ensuite, nous irons à la mission arrêter Frère David.

— Frère Ezéchiel », affirmai-je en me hâtant de quitter la pièce pour l’empêcher de rétorquer.

Le mystère du sarcophage
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